Andreï Molodkine : « The Foundry » à Maubourguet

P10 310 CAROLINE 01
Expo à Tarbes : Couleurs, harmonie & poissons forestiers
octobre 28, 2024
P16 310 CAMPISTRO 01
Campistro : Réinventer la flamme
octobre 28, 2024
Afficher tous
P8 310 ANDREI 02

Construit sur le site de l’ancienne Fonderie Fabre, « The Foundry » est un centre d’art expérimental tout à fait singulier. Entretien avec Andreï Molodkine, l’artiste à l’origine de ce projet unique.

 

Aujourd’hui, le Mag est à Maubourguet. En arrivant dans la rue de la Fonderie, nous apercevons de grandes lettres en alphabet cyrillique peintes sur un imposant portail d’entrée. Pas de doute : nous sommes au bon endroit. Welcome to The Foundry !

 

Le sang noir

Andreï Molodkine est un artiste conceptuel né en 1966 à Bouï, une petite ville de l’ouest de la Russie. Il a débuté son parcours artistique après avoir servi dans l’armée soviétique, où il transportait du pétrole en Sibérie. Cette expérience a profondément influencé son travail : dans plusieurs de ses œuvres, il utilise le pétrole sous sa forme brute, comme dans l’installation Democracy où l’or noir circule dans chaque lettre du mot « Democracy ». Pour lui, le pétrole est « le sang noir », « le sang de la société moderne ». De manière générale, il utilise l’art pour critiquer les rapports de domination engendrés par le pouvoir. Ses œuvres ont été présentées dans des institutions prestigieuses à travers le monde, comme le Musée d’Art Moderne de Saint-Étienne ou la Tate Modern à Londres. L’art de Molodkine est très connecté au réel : il y a quelques mois, il s’est battu pour la libération de Julian Assange en menaçant de détruire, via une œuvre intitulée Dead Man’s Switch, plusieurs tableaux de maître si le lanceur d’alerte australien venait à mourir en prison. Les œuvres ont-elles été détruites ? « Non ! Assange est libre : ça a marché ! (rires) »

 

La fonderie Fabre

Retour en arrière. Fondée en 1870 par Jules Fabre, la Fonderie Fabre a été, pendant une bonne partie du XXe siècle, un fleuron de l’industrie du département. On y fabriquait des pièces détachées industrielles pour des usines comme Alstom, des plaques de cheminée, ou encore des « Bigourdans », ces fameux poêles en fonte qui chauffaient exceptionnellement bien (et qui consommaient autant qu’une locomotive à vapeur). La fonderie est restée aux mains de la famille Fabre pendant quatre générations ; dans les années 80, après de profonds bouleversements du secteur industriel, les trois frères Georges, Raoul et Maurice l’ont vendue, et elle a définitivement fermé ses portes en 2008. Laissée à l’abandon, elle a été pillée et vandalisée pendant plusieurs années, jusqu’à ce qu’Andreï la transforme en centre artistique en 2015. « The Foundry » était née.

 

 L’âme d’antan

Un travail de rénovation colossal a été réalisé. Tout a été remis à neuf avec la volonté de conserver l’âme de la fonderie : « Il était très important pour nous de tout garder comme avant ». Les dimensions industrielles des lieux sont parfaitement adaptées aux œuvres de Molodkine, qui sont particulièrement volumineuses. À l’intérieur comme à l’extérieur des bâtiments, plusieurs dizaines de lettres immenses en trois dimensions forment des phrases lourdes de sens. Exemple : disposées en un cercle de plusieurs dizaines de mètres de diamètre, des lettres de quatre ou cinq mètres de haut font apparaître la phrase « Tired of this global sadistic regime », autrement dit : « fatigué de ce régime sadique mondial ». Molodkine a subi de nombreuses pressions et censures en raison de ses prises de position. Son engagement artistique n’a rien d’une posture : c’est une réalité.

 

 Arche artistique

Au cours de notre visite, nous avons croisé de nombreux artistes : « Ils viennent du monde entier pour travailler ici dans de bonnes conditions », explique Andreï. L’artiste russe nous a montré des peintures, des moulages en cire, des pochoirs, des sculptures, des installations toutes plus étonnantes les unes que les autres… Sous un hangar, nous avons aperçu une œuvre en gestation, probablement une future sculpture : un homme torse-nu (il faisait si froid que le Mag portait un manteau doublé) donnait d’énergiques coups de pelle dans un tas de gravier, remplissant une bétonneuse au rythme de chants russes diffusés par un petit transistor. Voilà le genre d’ambiance artistique que le Mag affectionne particulièrement.

 

Projet « The Foundry »

Comment fonctionne un tel lieu ? « On collabore avec une fondation londonienne qui soutient les artistes engagés ». Cette fondation, nommée A/Political, est spécialisée dans l’accompagnement de projets artistiques jugés trop sensibles pour les circuits traditionnels à cause de leur fort engagement politique. Grâce à un soutien financier, la fondation permet à des artistes controversés de travailler sans craindre la censure. D’autre part, la logistique particulière des lieux autorise la production d’œuvres gigantesques et techniquement complexes à réaliser. Finalement, The Foundry a gardé l’âme de la Fonderie Fabre : c’est un lieu de production, un endroit vivant où le travail et la création sont au centre du projet. C’est aussi un site qui dynamise la commune de Maubourguet, et donc, par ricochets, l’ensemble de la Bigorre. Pour succéder à la Fonderie, on ne pouvait pas rêver mieux !