Commençons tout de suite par désamorcer les critiques qui viendront sûrement à la lecture de notre titre : oui, l’on sait que le véritable « toit » des Pyrénées, c’est l’Aneto, lequel prend solidement assise en terres espagnoles. Il n’empêche que, côté français, le Vignemale est sans rival. Culminant à 3298 mètres, il dépasse d’un peu moins de 80 mètres le Pic Perdiguère et d’un peu plus de 100 mètres le Pic Long…
On était chaud, prêt, équipé : il a pourtant fallu changer nos plans. On avait prévu l’ascension de la Pique Longue [ ndlr : le véritable nom du Grand Vignemale ] par le glacier d’Ossoue, après une nuit réparatrice au Refuge de Bayssellance. Las, les conditions météorologiques nous ont forcé à reconsidérer la pertinence de l’expédition qu’on voulait entreprendre.
Car il y a une règle souveraine s’imposant à tout randonneur en altitude : la montagne, seule, décide. Toujours. Si les conditions ne sont pas propices à gravir un itinéraire déjà difficultueux : l’on rebrousse chemin. On ne compte plus, d’ailleurs, les ascensionnistes ayant annulé une expédition préparée depuis des mois, simplement parce que la météo la rendait délicate, sinon impossible. Grand alpiniste comme marcheur novice : tout le monde doit savoir rester humble.
Heureusement, l’on s’était, la veille du jour où l’on avait prévu l’ascension de la Pique Longue, offert un lot de consolation : le Petit Vignemale, 3032 mètres à son sommet, offrant une magnifique vue sur le reste du massif et sur les sommets alentours. Un spectacle sans pareil récompensant un effort tout de même significatif : parti de Cauterets à l’aube, l’on avait, en arrivant en haut, 2100 mètres de dénivelé positif au compteur.
Vinrent ensuite la soirée et la nuit au refuge de Bayssellance, et là, il va quand même falloir, avant de parler de l’ambiance, faire un petit point d’histoire. Car, dans le petit monde des refuges gardés pyrénéens, celui de Bayssellance est à la fois le plus haut (2651 m.) et le plus ancien ! Sa fondation date de 1899, le légendaire Henry Russell en ayant été un des instigateurs. Vous ne connaissez pas Henry Russell ? Bon. Second point d’histoire. Russell est probablement l’un des pyrénéistes les plus renommés et l’une des personnalités historiques les plus remarquables ayant traversé la Bigorre. L’histoire de sa vie est par ailleurs intimement liée au massif du Vignemale : Russell en a même été, en quelque sorte, le locataire, après en avoir obtenu le bail auprès de la préfecture des Hautes-Pyrénées, et il y a fait creuser
7 grottes mythiques dans lesquelles il lui arrivait de recevoir certaines têtes couronnées d’Europe. Tout amoureux de pyrénéisme, quand il marche du côté du Vignemale, sait qu’il n’y a pas meilleur endroit pour convoquer son souvenir…
Les refuges de haute-montagne sont propices aux rencontres. Celui de Bayssellance ne fait pas exception. On a pu parler quelques minutes avec Pierre Lafont, dit Peio, gardien du refuge depuis une huitaine de saisons, assisté dans son œuvre par deux à cinq personnes. Il est celui qui, chaque été, abrite (entre autres) ceux qui sont tentés par l’ascension du Vignemale, nombreux surtout de mai à juillet, et ceux qui se promènent en itinérance de refuge en refuge, plus nombreux en août. On a discuté avec lui histoire des lieux, état d’esprit des gens de passage, et, surtout, rôle des refuges. Qui ne sont pas précisément des établissements d’hébergement classiques ! « Qu’il soit gardé ou non, dans un refuge, il y a toujours une notion d’abri. Que tu dormes dedans ou à l’extérieur, la porte est toujours ouverte au cas où tu doives te réfugier » précise Peio. La large majorité des refuges appartiennent à la FFCAM (Fédération française des clubs alpins et de montagne), ceux qui restent étant généralement placés sous la houlette des Parcs Nationaux : que des gens aimant la montagne, donc, et consacrant cette part de leur activité à la rendre accessible et « sécure » à ceux qui partagent avec eux cet amour.
Un refuge, c’est une communauté soudée par les mêmes intérêts, réunie un soir par le hasard de calendriers concordants. Des chemins qui se croisent. De belles rencontres. Du groupe de jeunes étudiants au marcheur solitaire, en passant par le couple mordu de montagne et la petite bande d’Espagnols aguerris, on rebondit, toute la soirée, de conversation en conversation, avec au centre des débats toujours la même question : « La météo, demain, ça dit quoi ? » ; au matin, le petit-déjeuner englouti, on échange des numéros, on se promet des sorties communes… De quoi, décidément, se consoler d’une météo défavorable, de quoi oublier un peu (on le glisse au passage) l’état des glaciers sérieusement diminués aujourd’hui (et de plus en plus chaque année), de quoi se rappeler que la montagne, c’est à la fois des aventures individuelles et leur entrelacement, dans lequel se tisse une histoire collective. On est peu de chose à l’échelle du temps géologique qui a vu la formation de nos belles Pyrénées. Mais le fait est que dans ce « peu de chose », il brûle un feu qui nous dépasse et nous relie aux illustres qui, comme Russell, ont été parmi les premiers à l’allumer. Ce feu, c’est celui de la passion. Et il a l’avantage d’être rassembleur, tout en ne contribuant pas au réchauffement climatique ! Qu’il brûle, donc, pour autant de temps qu’il restera, dans nos régions, des hommes et des montagnes pour doublement l’aviver…
Refuge de Bayssellance
www.refugebayssellance.ffcam.fr
Être équipé, consulter la météo, ne pas surestimer ses forces, étudier cartes et topos, amener de l’eau et des provisions. Et pour toute sortie présentant des difficultés : envisager d’être accompagné par un guide. Règles basiques mais toujours bonnes à rappeler !!!